Outre la question du sens, il s’agit du travail réel du pilote d’hélicoptère, prestataire en sous-traitance dans un SAMU.
Aujourd’hui, c’est la rencontre avec Nicolas, passionné par son métier de pilote d’hélicoptère pour les services d’urgence. Il doit toujours être en capacité de mobiliser ses ressources cognitives à n’importe quel moment ( https://bdergonomie.com/formation-les-modules-de-formation/ ). Cet article a été rédigé pendant la crise sanitaire de 2020. Il y sera question du vécu vis-à-vis du travail.
Salarié d’une entreprise privée, Nicolas intervient en sous-traitance pour un SAMU. Quand le pilotage d’hélicoptère rencontre la médecine d’urgence, ce sont deux mondes qui se comprennent sur les protocoles à respecter « rigoureusement », le travail prescrit. Mais, c’est aussi se permettre de la prise de distance pour secourir efficacement des personnes.
Un prescrit incontournable, mais y’a-t-il du travail réel pour être pilote d’hélicoptère ?
En permanence de jour, Nicolas suit le même rituel. L’analyse de la météo détermine les possibilités de voler ou non. Il y a également le repérage des « NOTAM » (messages d’avertissements aux pilotes) et des zones de vols en basse altitude pour identifier les « routes » impraticables. En effet, il faut éviter de se trouver nez à nez avec des avions de chasse.
Le travail se poursuit avec le contrôle de l’hélicoptère, puis l’attente de l’appel débute. Il est alors nécessaire de rester concentré jusqu’à l’appel d’urgence.
Lorsque cet appel d’urgence arrive, les coordonnées GPS ne sont pas transmises pour éviter toute erreur de compréhension des chiffres. Il n’y a pas non plus d’information sur le patient pour ne pas influer sur la décision de décoller ou pas. La priorité est de garder en vie les soignants.
Du prescrit aux besoins du travail réel du pilote d’hélicoptère
En 15 minutes, Nicolas doit analyser la météo, la topographie et le paysage pour voir s’il pourra se poser à l’adresse indiquée ou à proximité. En fait, ce sont plutôt 5 minutes. Pour la nuit, la prescription est de 30 minutes, mais ces analyses se font généralement en 15 minutes ( https://bdergonomie.com/conseil-en-ergonomie-optimisez-la-sante-au-service-du-travail/ ).
L’enjeu de la concentration est d’être efficient vis-à-vis du client (SAMU) et parce qu’il y a des vies à sauver.
Stratégies construites au sein du collectif de pilotage
Au décollage et à l’atterrissage, les yeux de l’assistant s’ajoutent à ceux du pilote. En effet, avec l’automatisation le pilote a le regard sur les écrans. Or, la vigilance doit être accrue à ces étapes. Pendant le vol, le copilote raconte alors tout ce qu’il voit « oh un oiseau, oh une ligne à haute tension, oh un OVNI … ». Cette stratégie est une mesure de sécurité supplémentaire pour s’assurer que le pilote les a également identifiés.
Posé, le pilote attend le retour de l’équipe médicale. Enfin non ! L’objet est de secourir. Il est partie intégrante du collectif de travail même si ce sont deux sociétés différentes.
Tout comme son assistant, il fait les aller-retours entre l’appareil et le lieu de l’accident. Il transporte le matériel nécessaire pour l’intervention. Il devient l’infirmier du médecin ou alors l’aide-soignant de l’infirmier.
Être un sous-traitant serait un geste barrière !
L’arrivée du Covid 19 montre que le travail réel dépasse encore le prescrit. Nicolas et son assistant étant « transporteurs » et non soignants, ils n’étaient pas prévus dans l’attribution des protections destinées au personnel médical … Or, ils sont dans le même aéronef exigu. Ils assistent les soignants dans leurs actes, ils brancardent les patients dans l’hélicoptère. Il serait difficile de les sauver en les laissant sur le lieu de l’accident.
Face à cette incompréhension, la première initiative a été de tendre un champ opératoire dans l’hélicoptère entre les « transporteurs » et les soignants. Tout en se battant pour avoir du matériel de protection, ils apprenaient à mettre et enlever une surblouse – en faisant part des risques identifiés en cas de vent. Il a fallu expliquer le contexte du travail pour obtenir le bon masque, le FFP2 dans ce cas. En effet, le chirurgical peut provoquer de la buée sur les lunettes et le FFP3 est trop éloigné de la bouche rendant les conversations impossibles au micro.
Tester pour construire des savoirs
Au-delà de la prévention des risques professionnels, c’est la construction de savoirs. Il s’agit de s’enrichir des expériences des uns (pilotes du Grand-Est, du Canada) et de partager ses découvertes avec la Marine qui est également concernée.
Pour Nicolas, cette pandémie est plus fatigante que stressante. En plus du travail habituel, il y a de nouvelles tâches comme désinfecter l’hélicoptère, parfois la nuit. Il faut alors appliquer de nouveaux protocoles empêchant de s’appuyer sur des automatismes moins coûteux cognitivement. Porter un masque toute la journée fatigue également. Mais, il faut être vigilant pour se souvenir de tout ce qui a été touché et donc potentiellement contaminé.
Travailler, c’est pouvoir bien faire
Pour Nicolas, le « droit de retrait » n’a jamais été envisageable. Malgré le stress potentiel, malgré la fatigue, piloter un hélicoptère du SAMU, ce n’est pas juste « transporter » c’est appartenir à un collectif de soignants, faire ce qui est prévu, ce qui est attendu de lui mais surtout palier à ce qui ne l’est pas. Or, c’est aussi (et surtout) ce non-prévu qui fait secours.
Malgré la solitude pour construire des gestes barrières spécifiques, malgré le stress, malgré la fatigue, le sens et la qualité du travail l’emportent, ce qui fait tout simplement de la QVT, sans avoir à recourir à des artifices.
Benoît Dahéron
Ergonome et Formateur
Spécialiste en prévention des risques professionnels et organisation du travail
TMS – RPS – QVCT – Usages
Vieillissement et transmission des savoir-faire